- AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (langues, littératures, théâtre) - Langues et littératures
- AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (langues, littératures, théâtre) - Langues et littératuresLorsqu’au mois de novembre 1519 les conquérants espagnols arrivent devant la citadelle de l’empire aztèque, Mexico-Tenochtitlán , au cœur du haut plateau mexicain, ils ne prennent pas exactement la mesure du monde qu’ils vont abattre, malgré leur émerveillement. Pourtant, les témoignages de la culture aztèque ou nahuatl n’échappent pas aux plus avertis parmi les rudes soldats qui montent à la conquête. L’un d’entre eux, Bernal Díaz del Castillo, rappelle dans ses souvenirs: «Et nous avons trouvé les maisons des idoles et des sacrifices [...] et de nombreux livres en leur papier, pliés à la façon des draps de Castille» (Historia verdadera de la conquista de la Nueva España , 1632).Il y avait donc des livres dans l’empire aztèque, et ces livres, magiques et rituels, parfois recueils de mythes et de poèmes, ou encore annales, servaient à enregistrer et à conserver la pensée. Bref, ils étaient le support d’une littérature.Au moment où l’entreprise espagnole étendra son effort en direction de l’Amérique centrale, le même étonnement frappera les conquérants. Les peuples maya du Yucatán et du Guatemala avaient su aussi garder l’expression de leur pensée la plus élaborée dans des livres. Fray Diego de Landa, évêque du Yucatán, écrit vers 1560 ces phrases révélatrices: «Ils écrivaient leurs livres sur une longue feuille pliée, fermée par deux planches très décorées. Ils écrivaient d’un côté et de l’autre sur des colonnes, selon les feuilles [...] Certains princes connaissaient ces sciences par curiosité et pour cela étaient tenus en grande estime, bien qu’ils n’en fissent point usage en public» (Relación de las cosas de Yucatán , 1864).En fait, il s’agissait bien d’expression littéraire suscitée par deux langues précolombiennes non seulement aptes à exprimer les subtilités d’une littérature, mais aussi propices à les éveiller. Deux langues capables, au plus haut point, de création et d’abstraction.1. Les langues nahuatl et mayaLangue officielle, marque de l’hégémonie de Mexico dans la Méso-Amérique précolombienne, le nahuatl porte déjà dans le terme qui le désigne son ambition et sa définition. Nahuatl signifie, en effet, «harmonieux», «qui rend un bon son», «qui flatte l’oreille», et ce mot peut être utilisé ordinairement dans la langue comme adjectif, avec ce sens précis. Ceux qui font usage de cet idiome, riche en voyelles, aux sonorités bien accusées, comparent sa prononciation à un envol d’oiseaux légers. Avant l’arrivée des Espagnols, les Mexicains tenaient, au XVe siècle, toutes les autres langues parlées sur le haut plateau de l’Anahuac pour frustes et grossières. Ils les méprisaient, les désignant par le qualificatif déshonorant de chichimèques , c’est-à-dire «barbares» ou encore, littéralement, «engendrées par des chiens». Tant de fierté pour leur langue marque bien chez les anciens Mexicains une belle assurance de civilisation, et bien plus: la conscience du fait que cette langue était, par elle-même, profondément civilisatrice.Polysynthétique, agglutinante, et en ce sens opposée à nos langues occidentales à flexion, elle procède par addition d’affixes à des mots bases ou thèmes pour exprimer des rapports grammaticaux. Le nahuatl a ainsi la possibilité de créer, à partir d’un terme, des expressions nouvelles par simple ajout de ces affixes, dont il possède une gamme très étendue. Il peut aussi unir deux ou plusieurs termes de nature différente pour définir une nuance particulière, au moyen de mécanismes assez simples. De ce fait, cette langue a très souvent recours à la formation de mots complexes qui remplacent en partie les phrases, et dont chacun des composants évoque une image différente. Mais l’ensemble obtenu est riche de toutes les associations d’idées contenues dans le groupe. Cette façon de procéder fournit une échelle très souple de suggestions, d’allusions ou d’évocations. On pourra retenir, parmi tant d’autres exemples possibles, cette formule destinée à décrire un tambour rituel: quetzaltica huiconticac teocuitlaxochinenepaniuhticac , «orné de plumes vertes de quetzal, entrelacé de fleurs d’or».On voit que la langue nahuatl utilise des groupes d’images étroitement liées par un sens traditionnel plus que des phrases de structure logique. Jacques Soustelle en a décrit le système: «Lorsqu’on pénètre dans ce monde que la pensée indigène construisait, on croit entrer dans un palais dont les murs seraient faits de miroirs, ou mieux dans une forêt aux innombrables échos où les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» Il est aisé d’imaginer les possibilités extrêmement variées offertes par ces accumulations d’images et de sensations dans une langue aux ambitions littéraires.Et, certes, une écriture existait pour fixer l’essentiel des créations ainsi formées. À mi-chemin entre la simple figuration pictographique, l’idéogramme et le symbole phonétique, le système des tlacuiloque (scribes) précolombiens est un mécanisme de représentation de la pensée qui se cherche, tentant d’aller vers la solution la plus économique et la plus efficace.Ainsi, atl , «l’eau», pouvait être signifié d’abord par une description directe sous la forme d’un dessin représentant des ondes liquides. Mais, sous une forme plus stylisée, ces ondes devenaient un signe plus simple, une sorte d’idéogramme signifiant le concept «eau». Enfin, ce même signe stylisé pouvait aboutir à exprimer le phonème caractéristique de ce mot: la voyelle A. Alphabet idéographique ou alphabet phonétique, les deux issues restaient possibles. L’arrivée des Espagnols brisa brutalement ces virtualités en introduisant d’office l’alphabet phonétique de l’Europe occidentale. On doit, en effet, aux missionnaires franciscains espagnols la transcription en alphabet latin du nahuatl, entreprise avec des moyens de fortune dès 1524, puis menée avec une grande efficacité. À vrai dire, les phonèmes propres au nahuatl, relativement simples, ne rendaient pas la tâche insurmontable. Les résultats furent rapides et concluants. Déjà en 1528, ce système permettait la transcription en nahuatl, par les indigènes eux-mêmes et en usant de l’alphabet latin, des souvenirs de la conquête dans les fameuses Anales de Tlatelolco , sept ans seulement après la victoire espagnole.Des hommes comme fray Andrés de Olmos, fray Alonso de Molina, fray Toribio Motolinía et surtout fray Bernardino de Sahagún se sont illustrés dans cette entreprise infiniment délicate. Aujourd’hui encore, à quelques détails techniques près, le nahuatl s’écrit selon leurs normes.Le nahuatl n’a jamais cessé d’être écrit et parlé depuis la conquête. Au XVIIe siècle, la grande poétesse sor Juana Inés de la Cruz usait toujours de ses ressources dans ses villancicos et surtout ses tocotines . Des écrivains comme Tezozómoc, Ixtlilxóchitl, Chimalpahin ont témoigné de sa vigueur pendant l’époque coloniale. Actuellement, et selon les recensements disponibles, près d’un million d’hommes l’utilisent comme moyen de communication privilégié, sur presque tout le territoire du Mexique central. Des représentations dramatiques ou des concours poétiques en nahuatl ont lieu de nos jours dans les villages des États de Tlaxcala ou de Puebla. Même les souvenirs de la révolution mexicaine de 1910 sont rédigés en nahuatl par ceux qui en furent les témoins. Au XXe siècle, où tant de cultures retrouvent leur place traditionnelle après avoir paru sombrer dans l’oubli, il n’est peut-être pas malvenu de s’interroger sur le rôle que l’avenir réserve à la langue des Mexica .À la différence du nahuatl, relativement uniformisé, la langue maya (à laquelle nous devons également une production littéraire considérable) se présente sous les aspects plurivalents d’une famille linguistique. Il est d’usage de désigner cet ensemble sous le nom de langues «mayances». Le maya proprement dit se trouve être le maya du Yucatán, usité dans la péninsule yucatèque (Yucatán, Campeche, Quintana Roo au Mexique et Petén au Guatemala). Il faut y joindre le groupe mam au Guatemala, le tzeltal , le maya-quiché , le pokom et aussi le huastèque , utilisé au Mexique entre Tamaulipas et Veracruz. Le maya du Yucatán est probablement le plus proche de la langue mère des Maya précolombiens, le mieux conservé à tous égards.Il s’agit ici encore d’une langue polysynthétique, agglutinante, qui procède également par incorporation d’affixes à des mots bases, en général monosyllabiques. Son écriture actuelle, par réduction en système de représentation phonétique au moyen de l’alphabet latin, tire ses origines et ses normes du même effort des missionnaires espagnols, aux XVIe et XVIIe siècles, que pour le nahuatl. Seulement, les difficultés furent ici plus grandes, et certains sons comme ch’, dz, p’, etc., ont dû être inclus dans l’orthographe adoptée par les Franciscains. La représentation de certains phonèmes (consonnes surtout) particuliers à la langue ne va pas sans problèmes. Ainsi: can , «serpent», mais k’an , «jaune», ou encore chich , «grand-mère», mais ch’ich , «oiseau».Le système d’écriture du maya aux temps précolombiens reste un mystère non éclairci, malgré les tentatives les plus audacieuses de la recherche moderne. Les quelques codex précolombiens que nous gardons (codex de Dresde, de Madrid et de Paris), ou les nombreuses inscriptions mises au jour par l’archéologie, présentent une notation cryptographique dont nul n’a encore réussi à percer le secret. Un essai de déchiffrage systématique, utilisant les rapports de fréquence des signes et mené au moyen d’ordinateurs, a été entrepris en 1955 par l’école soviétique de Novossibirsk et a échoué. Le Seminario de estudios de la escritura maya de l’université de Mexico a repris cette tentative, en améliorant le recensement des hiéroglyphes connus, mais ses dernières conclusions insistent trop sur le caractère idéographique de cette écriture. En effet, depuis quelques années, les travaux du Belge Antoon Vollemaere paraissent prouver que l’écriture des codex maya serait issue d’une écriture pictographique transformée lors de la confection des documents en écriture syllabique, presque alphabétique, tout en gardant des restes archaïques de pictogrammes, d’idéogrammes, voire d’iconogrammes. La nature phonétique de l’écriture maya ne ferait plus de doutes et Vollemaere a pu affirmer que, si la conquête espagnole n’était pas intervenue, l’écriture maya serait complètement phonétisée, c’est-à-dire devenue entièrement alphabétique-syllabique. La publication du Soviétique Y. V. Knorozov (Leningrad, 1975) va dans le même sens. De toute façon, les hiéroglyphes précolombiens des Maya attendent encore leur Champollion.Les diverses langues maya sont aujourd’hui extrêmement usitées. Selon les données actuelles, 70 p. 100 de la population du Guatemala les utilisent comme véhicule d’expression courante. Il en est de même dans la péninsule yucatèque du Mexique.2. La littérature nahuatlPour le nahuatl aussi bien que pour le maya, les textes qui nous sont parvenus sont en majeure partie ceux que les missionnaires espagnols ont réussi à transcrire et à conserver au début de la colonisation. Il faut y joindre ceux que les ethnologues contemporains ont recueillis, dont l’inspiration précolombienne, malgré de nombreuses interpolations, est parfaitement évidente. Les codex réellement préhispaniques sont très rares, du fait des destructions opérées lors de la conquête, et leur contenu a été souvent repris dans les écrits que les missionnaires ont réussi à rassembler.Associant étroitement danse, musique et poésie, la culture nahuatl ne concevait l’expression littéraire que par une participation bien réglée de ces trois éléments. Le nom même dont on se sert en nahuatl pour désigner un poème, cuicatl , signifie plutôt «musique accompagnée de mots». On représentait ce concept par la graphie habituelle de la parole, c’est-à-dire la volute, mais décorée de fleurs; c’était donc la «parole fleurie», et le poète était le cuicani , le «chanteur». La danse, partie intégrante de l’acte poétique, s’accordait à la nature de l’expression littéraire. Même la poésie épique et le récit historique étaient souvent accompagnés d’évolutions chorégraphiques. D’autre part, la place de la liturgie religieuse comptait pour beaucoup dans la manifestation littéraire. Pour un peuple religieux au plus haut degré, tout rappelait, dans la déclamation d’un poème ou l’exposé d’un récit, la cérémonie ou le spectacle religieux aux infinis raffinements cultuels.Ce goût pour la littérature n’était pas laissé au hasard. Partout, sur les territoires de l’empire, sa préparation et son enseignement étaient organisés. À côté du calmecac , sorte de collège supérieur, se tenait le cuicacalli , «maison de chant», que les jeunes gens fréquentaient dès l’âge de douze ans. Son organisation était confiée à des poètes, musiciens ou danseurs renommés, et le tlatoani , l’«empereur», veillait à leur prestige.Quatre régions du Mexique central semblent avoir servi, tout particulièrement, de berceau aux poètes. Texcoco d’abord, avec le grand nom de Nezahualcóyotl , le roi philosophe qui est un peu l’Homère mexicain et auquel on doit une réflexion approfondie sur la signification ultime du destin humain. À Texcoco aussi, relevons les noms de Nezahualpilli , de Cacamatzin , de Cuacuauhtzin et de Tlaltecatzin . À leur inspiration spiritualiste, portée sur une méditation du temps qui est hantise du néant et amertume devant un monde insaisissable, s’oppose l’attitude plus dynamique des poètes de Mexico-Tenochtitlán . Ainsi, on trouve Tochihuitzin , fils d’«empereur», soucieux de chanter en vers épiques l’extension des domaines de son père, mais aussi Axayácatl , auquel nous devons de très beaux vers désabusés sur une défaite militaire cuisante. Sans oublier la délicate présence de Macuilxochitzin , princesse de Mexico, fille du grand Tlacaélel , qui se voulait l’aède inspirée des victoires de son pays.La région de Tlaxcala et les contrées dépendantes, comme Huexotzinco et Tecamachalco, expriment à leur tour, dans leur production poétique, le souci d’éclaircir la signification de la démarche littéraire et de comprendre la portée d’une création qui dépasse l’écrivain. Tecayehuatzin , avec son fameux dialogue Fleur et Chant (In xóchitl in cuicatl ), en est l’illustration la plus achevée. Ayocuan , qui chante la fugacité de ce monde, ou Xicohténcatl , qui exalte le butin de la guerre fleurie, le sang humain offert à la soif des divinités, en sont des chantres tout aussi remarquables. Citons, enfin, la région de Chalco, où Chichicuepon a su pleurer en de tristes élégies les malheurs de la guerre qui s’abattait sur son petit pays.On voit, à ce bref panorama, que la poésie nahuatl comporte des genres de facture et d’inspiration très diverses. En fait, il y a lieu de distinguer plusieurs types de forme poétique. Principalement, discernons le xochicuicatl , ou chant d’allégresse, le cuauhcuicatl , ou chant héroïque, et l’icnocuicatl , ou chant triste. Sans négliger pour autant des genres comme le yaocuicatl ou le teuccuicatl , fort prisés, et enfin le cuecuechcuicatl , cette savoureuse poésie érotique que les missionnaires espagnols ont collectée avec bien des grimaces.Mais, quels que fussent les genres, le poète nahuatl restait obsédé par le thème de la mort et l’invasion des ténèbres. Le caractère éphémère de toutes choses, la précarité des sentiments et de la vie revêtaient pour lui les aspects d’une angoisse omniprésente. Le poète, même s’il chantait, comme Tlaltecatzin, les plaisirs de l’ahuiani , la «courtisane», «fleur précieuse de maïs grillé», savait que son regard n’arriverait guère à appréhender qu’une forme et un instant évanescents.Le plaisir restaurait à peine les êtres et les objets dans une harmonie rassurante. Rarement vainqueur, toujours sûr de construire sur un sable mouvant, le poète nahuatl donnait à son chant la signification d’une démarche désespérée pour reconquérir un monde épuisant, mais qu’il n’avait peut-être pas définitivement délaissé, dans les perspectives lointaines d’une réconciliation infiniment voulue et infiniment espérée.Lyrique, épique ou dramatique, la poésie n’épuise pas toutes les formes de manifestation littéraire dans l’ancien Mexique. La prose avait d’imposantes créations à son actif, et trois formes d’expression que nos normes actuelles rangent parmi les langages qui n’obéissent point à des règles de versification étaient admises comme élaborations littéraires. On peut les classer ainsi: le récit historique ou annales; la rhétorique comme art de bien parler et comme technique de l’éloquence; enfin, un genre particulier, relié au précédent, mais aux sujets originaux et uniques, le huehuetlatolli , «discours des anciens». La rédaction des annales était l’objet de soins très particuliers: tant à Texcoco qu’à Mexico ou à Tlaxcala, des scribes spécialisés consignaient les généalogies, les événements historiques de quelque importance, les hauts faits de la grande migration aztèque ou les prouesses des peuples du haut plateau. La Crónica mexicayotl de Tezozómoc, malgré sa date tardive, illustre bien cette littérature. Il en est de même de l’Historia chichimeca d’Ixtlilxóchitl ou des Anales de Cuauhtitlán . Des fragments du Codex Aubin ou certains textes recueillis par Sahagún dans son Historia general de las cosas de Nueva España , dans leur texte nahuatl (Codex Florentin ou Primeros memoriales , ms. de Madrid), relèvent du même genre. Signalons enfin que certains récits historiques prenaient une forme poétique: l’icacocacuicatl , sorte de saga aux formes très simples.L’art de l’éloquence était très pratiqué. Depuis l’école, au telpuchcalli , mais surtout au calmecac (établissement supérieur), on apprenait à s’exprimer de façon convaincante, en usant des ressources les plus subtiles de la langue. De nombreuses collections de proverbes et de formules nous en sont restées. Citons pour mémoire les textes recueillis par le franciscain fray Andrés de Olmos dans sa Grammaire du nahuatl (Paris, 1875), ou les Frases y modos de hablar elegantes y metafóricos de los Indios mexicanos de Mijangos (Mexico, 1623).Le huehuetlatolli , ou «discours des anciens», était fondé sur la tradition orale et destiné à l’éducation des jeunes; ces harangues constituaient une longue série de conseils, admirables par la beauté de leur langue et la haute tenue de leurs préceptes. En les écoutant, puis en les apprenant par cœur, le Mexicain cherchait à devenir un homme accompli, soucieux de ses devoirs et conscient de sa dignité. Les textes que nous conservons sont dus aux travaux d’Olmos et de Sahagún, au XVIe siècle, pour sauver de l’oubli le meilleur de la culture nahuatl. Ils sont parmi les plus beaux textes que nous aient légués les anciens Mexicains.3. La littérature maya et le «Popol Vuh»La difficulté à décrire, même très sommairement, la littérature des Maya réside d’abord dans la diversité des langues «mayances» qui ont servi de véhicule à cette littérature. Tant en maya-yucatèque qu’en maya-quiché ou en cakchiquel, les textes que l’on possède sont importants. Même en maya-lacandon, ils sont loin d’être négligeables. Pourtant, à la différence des écrits nahuatl, les textes maya n’ont pas encore suscité tout l’intérêt qu’ils méritent. On peut parler de littérature maya, même si les textes sont surtout historiques, mythologiques ou prophétiques, et cela à cause des éminentes qualités littéraires qu’ils manifestent. Leur origine est diverse. Il s’agit tantôt de transcriptions de textes hiéroglyphiques, tantôt de récits recueillis par les missionnaires alphabétisateurs, tantôt de documents issus des efforts anthropologiques modernes. On retiendra surtout quelques grands titres.Tout d’abord, en maya-yucatèque , l’ensemble formé par les Livres de Chilam Balam , qui sont au nombre de huit ou de neuf selon la mise en ordre actuelle. Le Chilam Balam de Chumayel , où sont évoquées la création du temps, l’origine des Itzaes et l’arrivée des Dzules , c’est-à-dire des Espagnols. Puis le Chilam Balam de Tizimín , le Chilam Balam de Káua , le Chilam Balam d’Ixil , le Chilam Balam de Tekax , le Chilam Balam de Nah , le Chilam Balam de Tusik et, enfin, le Codex Pérez , qui contient aussi le Chilam Balam de Maní . Leur contenu, mythologique et prophétique, est exprimé dans un langage d’une rare beauté.Il y a lieu de signaler aussi des textes lacandons , à caractère religieux, recueillis dans le Chiapas mexicain en 1903, ainsi que des textes tzotzils , rapportés en 1960 et publiés par Demetrio Sodi. Citons encore le Memorial de Sololá ou Anales de los Cakchiqueles , à la substance mythologique impressionnante et qui révèle la grande qualité littéraire atteinte aux temps précolombiens par les peuples de la Méso-Amérique.Le plus grand texte des littératures maya, rédigé en maya-quiché, Le Livre du conseil , ou livre des Anciennes Histoires du Quiché , comme on le désigne parfois, est en réalité un ouvrage écrit à l’aide de l’alphabet latin vers 1555, quelque trente ans après la conquête. Vraisemblablement, il fut établi alors par des scribes maya soucieux de mettre à l’abri leurs croyances et leurs traditions, menacées par la prédication évangélique. Il est anonyme, mais reprend les mythes et l’histoire du peuple maya-quiché, contenus dans un document précolombien disparu lors de l’arrivée des Castillans: le Popol Vuh , dont l’origine serait très ancienne. Le manuscrit dont sont issues toutes les éditions fut découvert au XVIIIe siècle à Chichicastenango, au Guatemala, par un religieux dominicain, fray Francisco Ximénez, qui avait su gagner la confiance des Indiens et avait pu les convaincre de lui confier leur livre sacré. Après avoir transcrit le texte quiché du document indigène, Ximénez procéda à sa traduction en espagnol. Ce sont là les seuls matériaux qui nous restent aujourd’hui, l’original quiché qui servit à la copie effectuée par le dominicain ayant disparu. La première édition digne de ce nom à voir le jour fut celle du Français Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg, publiée à Paris en 1861, sous le titre Popol Vuh. Le Livre sacré et les mythes de l’Antiquité américaine . Depuis, les éditions ont été fort nombreuses, et la critique philologique s’est attachée, d’une façon remarquable, à en rendre la lecture aussi sûre que possible. En effet, l’intérêt suscité par cette œuvre n’a cessé d’être très vif.L’immense majorité de son inspiration est clairement précolombienne, et on a pu qualifier de «Bible maya» ce livre, qui conte l’origine des temps et de l’homme, ainsi que l’histoire des héros mythologiques ou historiques des Maya-Quiché. En fait, on peut distinguer trois parties bien délimitées dans le Popol Vuh . La première est une description de la création du monde et des origines de l’homme, qui n’est pas sans de curieuses ressemblances de style avec le livre de la Genèse de l’Ancien Testament. Néanmoins, il y a lieu de noter que dans le Popol Vuh l’homme n’est définitivement créé qu’après plusieurs tentatives maladroites de la part des divinités. À la fin, la créature humaine trouve sa véritable forme en tirant sa substance non de la glaise du sol, mais du maïs. Le symbolisme ainsi appréhendé est révélateur d’une rare conscience anthropologique, puisqu’il sacralise la céréale qui permit l’éclosion des hautes civilisations précolombiennes en Méso-Amérique.La deuxième partie relate les exploits de deux héros mythologiques, Hunahpú et Ixbalanqué, dont les parents furent anéantis par les génies malfaisants dans le royaume de Xibalbay. Le drame mythologique qui s’y développe frappe par la puissance de l’imagination et par la richesse raffinée de l’expression poétique qu’il manifeste. Cette partie est sans doute la plus étonnante des créations littéraires précolombiennes, et elle nous autorise à ranger le livre parmi les œuvres dont l’humanité peut s’enorgueillir. La troisième partie, certes moins séduisante, est surtout historique et généalogique. Outre la liste des dynasties qui ont régné sur le pays maya-quiché, elle rapporte les origines des peuples du Guatemala, leurs migrations, leurs conquêtes, le processus de leur développement politique. En ce sens, son apport historiographique est considérable et permet à la recherche actuelle d’éviter bien des tâtonnements que l’archéologie n’aurait pu résoudre.
Encyclopédie Universelle. 2012.